Ceux qui suivirent la voie [du terrorisme] etaient corps et ame prepares a payer de leur vie pour une impression reussie d'eux-memes, c'est-a-dire pour que la societe normale reconnaisse leur existence.

Hannah Arendt,  L'origine du totalitarisme

Je n'ai encore jamais si bien (en tous cas, autant) mange chez un hote : petit dejeuner et "Abendbrot" a volonte, et au milieu, ce qu on veut, a peu pres quand on veut... Angela a le coeur sur la main, et son mari, Sigbert, et un puit de culture. Leur maison est presque entierement une bibliotheque, avec dedans, entre les etageres, des meubles pour les gens qui y vivent. A l'entree, des metres et des metres de SF, de fantasy et de fantastique. Dans la piece voisine, quatre ou cinq ordinateurs, qui ne fonctionnent pas tous, et deux canapes-lits pour les invites. Et un escalier, au bout une trappe... le magasin, antre de Sigbert, B.U. mal rangee et sombre, dans laquelle on avance a la lampe-torche. La aussi, un lit, un plan de travail, des bidules electriques. Je deniche Les origines du totalitarisme d'Hannah Arendt, autotraduit en Allemand, et sais que je ne le lirai pas en entier dans la semaine. tant pis, je lis quand meme.

Et puis il y a Dan et Emma, cyclo-musiciens de rue eux aussi, moitie Anglais, moitie, Australiens, elle dans un sens et lui dans l'autre. Emma tres proche de ma philosophie, je crois. Dan un peu envahissant en conversation, mais bon bougre. Et puis Ung, sorte de Superman venu de Coree qui apparait et disparait sans que l'on s'en apercoive... Nous desherbons une mare creusee il y a longtemps, transportons quelques pierres qui en constitueront le rivage, mesurons... Trois heures par jour, et interdiction d'oublier les pauses: sigbert veille au grain pendant qu'Angela, encore loin de la retraite, trime a Hambourg. J'apprends que la reunification de l'Allemagne fut une OPA, et toutes les autres histoires de l'Histoire que nous ne savons plus. Sigbert vit, ressent l'histoire comme s'il y etait. En evoquant les projets d'Hitler, l'extermination de tous les intellectuels polonais, il sanglote doucement, s'excuse.

L'Histoire, c'est aussi, c'est surtout, un prof d'histoire a la retraite qui pleure, maintenant.