• Jour 11

    Toujours en Suisse, au Bouveret cette fois avec Amadou, et nous partons pour une petite randonnée en montagne, absolument sans équipememt, repectivement chaussés de Docks et de baskets (de marche mais pas étanches). Besoin de bouger. Levés a 6h30, départ à 8h (!!) et passage au supermarché pour un casse-croûte (je m'habitue difficilement aux prix suisses ; heureusement je viens d'avoir un boulot d'interprétariat en France, qui m'oblige à rentrer mais qui me donne un certain budget, voire un budget certain. Et nous sommes hors phase sans argent, ce n'est simplement pas possible dans ce cadre).

    On attaque raide, par des tout petits chemins qui disparaissent à flanc de montagne. Il y a encore des névés (c'est comme des congères, mais en plus gros). On rencontre un bûcheron très sympa qui nous indique le chemin de Taney, notre première destination, et nous informe qu'à cette période de l'année rien n'est ouvert au village. Puis nous rencontrons un rocher, très sympa lui aussi, qui nous fait signe de le suivre. Il y a un passage un peu dur, où il faut tirer sur les bras, et je sais que si mes chaussures glissent, je ne pourrai pas me hisser (la traction étant un des exercices musculaires que je n'ai jamais pu, ni conçu qu'on puisse, réussir).  Mais ça passe ! Je pensais que cette grimpe allait nous servir de raccourci (en parcours si ce n’est en temps) mais mon partenaire a laissé, sans doute sagement, son sac en bas : il faut donc redescendre, et une coulée de terre s’offre à moi. C’est comme un toboggan ! Sauf que ça accélère. Un peu trop. Je me demande si je peux mourir dans cette situation, mais j’écarte les jambes pour me freiner avec les pieds. Ca va vite. Enfin, mon pied se bloque sur une pierre, je m’arrête, à moitié ensevelie, et fait signe à Amadou que « couci-couça », c’est-à-dire : moi ça va, mais cette méthode de descente reste encore à prouver ses bienfaits. Lui désescalade un peu plus normalement.

    On est sales mais indemne, et on continue ! On croise deux randonneurs de type « jeunes retraités dynamiques », tout équipés de bâtons de ski et de tout le tralala, très sympa eux aussi,  mais comme on est polis on n’essaie pas de leur grimper dessus. nous arrivons à Chalavornaire (on croise un nœud de vipères dont on ne cherche pas à connaître le tempérament), puis à Taney : le petit lac est presqu’encore entièrement gelé, avec juste un liseré bleu limpide et l’embouchure du torrent en eau. Derrière, un village de chalets et le calme plat. Je sors mon maillot, nous nous préparons à aller à l’eau, appareils photos à portée de main. D’habitude je n’aime pas filmer, photographier, communiquer au lieu de vivre ces moments mais je suis influencée par mon hôte et... il faut bien des preuves de ce genre de conneries. Dont acte:

    . Liste des choses à faire en relation avec les lacs gelés :

    S’y baigner : check

    Patin à glace : reste à faire

    Y dormir lors d’une rando : reste à faire.

    Au village de Taney les derniers humains que nous verrons lors de ce tour nous déconseillent le tour des lacs que nous avions prévus, mais nous encouragent à grimper le Grammont, 2172 m (le lac est à 1400). Record d’altitude atteinte en mode "doux" explosé, mais j’ai dû aller plus haut lors d’une classe de neige à St Gervais. La pente Sud, raide mais marchable, est couverte d’herbe mais lorsque nous arrivons sur la crête nous trouvons trois mètres de neige sur l’autre flanc. Leur présence est plutôt rassurante, mais évidemment mieux vaut ne pas y tomber. Seuls les chocards s’y aventurent impunément. Mais la vue… D’un côté le Léman, paysage balnéaire presque semblable à un bras de Méditerranée. De l’autre : les Alpes, face Nord, encore totalement enneigées, les glaciers, le lac gelé. le Monte Rosa au loin, à l’Est les Dents du Midi. Des tonnes et des tonnes de neige, qui finiront elles aussi dans la Méditerranée. Au milieu : nous, en débardeur et lunettes de soleil, les pieds mouillés et un peu fiers.

       

    J’enfile ma genouillière. Je sais aussi que malgré les apparences la plus grosse connerie, en termes de ma propre intégrité physique, que je vais faire aujourd’hui, c’est descendre cette draille et les 1800 m qui nous séparent du Bouveret. Nous descendons vite car nous faisons un peu la course avec le soleil. Les orteils me font mal en premier, puis le genou gauche. Les névés soulagent, comparés aux chemins caillouteux, mais glisse un peu plu qu'à l'aller. Le genou droit se réveille aussi, un peu. Je commence à sentir mon coude gauche en m’appuyant sur un bâton improvisé pour soulager les genoux. J’arrive sur ce qui me reste de rotules, nous buvons un verre, épuisés mais assez perchés, surtout moi : je me laisse submerger, je me plonge dans le mélange endorphines-soleil-bière à 3,5°.

    Bilan : 40km (plus 80 km pour l’aller-retour vers Lausanne en vélo), 1800 m de dénivelés, deux gamineries, un léger réveil de tendinite et plein de courbatures.


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    Ce départ est doux et difficile et il va encore durer. Car avant d’aborder l’inconnu je veux revenir un peu en arrière. Passer dire « au revoir » à ceux qui font un peu partie de moi et qui sont sur ma route, et les emporter un peu plus encore avec moi. Jouer à un jeu dangereux qui consiste à chercher une validation à ce voyage, en risquant de le voir invalidé. Le voyage, donc, commencera en Allemagne.

    En attendant je me sens conne en enfourchant mon vélo, et je regarde encore en arrière : ma fenêtre et celui qui s’y tient et que je laisse.

     

    Jour 1 (Dimanche)

     

    À Saint-Chamond, je demande mon chemin à un monsieur un peu âgé qui s’intéresse à mon voyage et m’offre un café. Il s’appelle Paul Privat et j’ai un peu entendu parler de lui : il est ancien militant des Verts et milite aujourd’hui en distribuant lui-même ses poèmes et textes d’opinion ou d’analyse politique, indifféremment, à des gens de chair et d’os et dans de bien réelles boîtes aux lettres : sa façon sans doute de ne pas combattre l’aliénation par des moyens aliénés. Nous parlons voyage, productivisme et déliquescence de l’écologie politique.

    Des cyclistes sportifs m’accompagnent un moment entre Rive-de-Gier et Givors, puis bifurquent pour rentrer manger. Je commence à fatiguer et les envie un peu. À Givors je demande du pain d’hier à une boulangère qui, en entendant mon projet, m’offre une flûte fraiche. J’en suis tellement enthousiasmée qu’en mangeant je lance des sourires angéliques à tous les passants, puis m’envole jusqu’à Vienne.

    Alors que je visite la cathédrale de Vienne, un certain Jean-Claude (ou Jean-Paul ?) m’aborde et me parle de ses vitraux datant du douzième siècle, prisés par les touristes hollandais. Puis il parle de miracles, puis de géopolitique et de son métier de reporter en Europe de l’Est, du temps des soviétiques. Il est questions de gens qui n’ont jamais revu leur fils après qu’il eut franchi le rideau de fer, de surveillance et de crime et de « rouges ». Il doit se dire que je ne peux pas comprendre, moi qui y vais vingt ans plus tard et n’aurai pas même à passer de douane jusqu’à la Russie.

    Il est cinq heures quand je le quitte et reprends la route, un peu fatiguée, moins enthousiaste. Une cabane (voir album photo) m’accueille près de Saint-Jean-de-Bournay, une cabane de pêche au bord d’un étang, et je m’endors après avoir pris quelques notes. Demain c’est marché à Saint-Jean, et je voudrais m’essayer à une petite représentation de mes chansons. Si j’ai le courage demain, dis-je, je fais la manche.

     

    Jour 2

    Et je le fais ! La manche à Saint-Jean-de-Bournay. Ca vaut peut-être le coup, ici, d’expliquer mon plan financier pour ce voyage. Le principe : je voyage sans argent, je demande des invendus dans les boulangeries et supérettes, me laisse inviter si l’on m’invite, et d’autre part je parle, j’apprends la flûte et peut-être l’harmonica, je joue sans rien demander. Ca c’est le principe. Pour le moment, je vais chez des gens que je connais et j’aimerais bien leur amener un petit quelque chose : ca se fait. Donc, faire la manche. J’explique mon voyage, chante quelques chansons entre voyage et révolution (lien) (lien), demande une petite aide, me fais virer par une gendarme. Bilan : 1.70 euros et une nouvelle expérience. Je n’irai pas loin comme ca… Tant pis, disons que le voyage sans argent aussi commence après Lausanne.

    À La Tour-du-Pin, je vois « Chambéry, 64 km ». Quoi ? Aix doit être au moins à cette distance !! Je reprends ma carte, je me suis trompée à la lecture, il y avait 90 et non 70 km… J’appelle Ina, je n’arriverai pas aujourd’hui. À Saint-Genix-sur-Guier, trois cyclistes retraités membres d’un club m’aident un peu avec mon parcours. Pour passer la draille qui me sépare du Lac du Bourget (Aix-les-Bains, chez Ina, étant de l’autre côté du lac), j’ai trois solution : le plus court est le col du Chat, mais je comprends que c’est le col de l’Epine qu’il faut passer, car ils viennent d’en parler : hors de question avec 110 kg d’attelage au bas mot et déjà 40 km dans les pattes. La seconde solution est un tunnel, interdit aux vélos. La troisième, et la plus simple, est de contourner cette fichue draille. Dans les trois cas, il faut d’abord aller à Yenne, au Nord. Ils m’accompagnent un bout de route sur une voie verte, nous roulons bien mais je force un peu pour ne pas (trop) les ralentir. À Yenne j’opte pour le contournement du lac par Chanaz : j’arriverai donc à Aix par le Nord, et repartirai du même côté. J’ai failli tenter de prendre le tunnel en stop mais me suis souvenue, juste à temps, que je suis contre le lissage du monde… Après Chanaz, je souffre dans une petite côte comme si c’était un col, puis m’arrête dans la descente vers le lac pour annoncer à ma pauvre marraine que finalement, je serai là ce soir : il est 18h30. En arrivant sur Aix, j’achète des chocolats, et tant pis pour les bonnes résolutions. Demain je me repose, nous parlerons. Ca fait longtemps que je n’ai pas vu Ina, et même si je n’arrive pas au meilleur moment, ca me fait plaisir et elle aussi a l’air contente.

    Aujourd’hui : 98 km

    Total : 175 km.

     

    Jour 4.

    Je pars vers 10h de chez Ina, qui me prend par surprise en m’offrant un billet suisse ! Je l’observe trop longuement pour le refuser ensuite. Tant pis, tant mieux. Ai passé près de deux journées passionnantes de discussions politiques, économiques… et sur le lien entre maladie et mental, de nouvelles guérisons miraculeuses (du moins exceptionnelles) s’étant ajoutées à celle contée par le monsieur de Vienne. Leucémies, pancréatite, patchs non-transdermiques, méditation, communication positive avec ses organes… Et moi qui ramène Henri Laborit là-dedans. Et puis encore, avec Ina et son mari Jean-Francois, comme à Vienne, les deux blocs, la relation entre communisme et totalitarisme (ou pas), la montée du capitalisme totalitaire (ou pas)…

    Départ donc, avec quelques doutes irrationnels sur le bien-fondé de ma sortie du travail-emploi, et donc sur le bien-fondé de ce voyage. Lorsque j’ai un coup de mou, je joue un peu de flûte et redémarre. Je demande de la nourriture dans une supérette à Billiat et le gérant se décarcasse pour me trouver les pas-encore invendus qui seront périmés le jour même. Deux sandwiches et du flan pour le dessert ! Ca me donne des forces, mais surtout je suis remotivée par le générosité de ce monsieur, et c’est reparti ! Je joue pas mal de flûte dans la côte qui monte à Collonges. Le soir tombe doucement, je n’arriverai pas à la frontière aujourd’hui, j’ai déjà passé le tunnel qui sera dangereux dans mon sens demain matin (tous les frontaliers partant alors bosser à Genève). Je m’arrête chez des agriculteurs pour demander un coin où poser ma tente, et ils finissent par m’offrir une douche, un repas en famille et leur chambre d’amis !! Ils s’appellent Anna et Nicolas, ont deux enfants, et sont originaires du canton de Fribourg en Suisse. Nicolas s’est installé dans le pays de Gex et élève des vaches à viande, Anna est « maîtresse » près de Genève. Ils courent toute la journée mais prennent le temps de discuter un moment. Nous échangeons nos contacts.

    Aujourd'hui: 65 km

    Total : 240 km

     

    Jour 5

     

    Il va me falloir parcourir 90 km pour arriver chez les amis lausannois, mais cela devrait être faisable car les bords du lac Léman, en toute logique, sont plats. Ca c’est ce que je pensais. En réalité les bords du lac sont presque entièrement privés et la route du lac, bosselée.

    En attendant j’avance lentement vers Genève entre les lignes THT, entre à la douane de Meyrin (vers le CERN, ah c’est pour ca tous ces pylônes), m’arrête dans l’association Meyrin Roule et les bénévoles me resserrent ma colonne de guidon, mais elle va se desserrer à nouveau car ils n’ont pas de quoi resserrer le contre-écrou.

    Genève. Je tente ma chance dans l’asso de vélo d’ici mais pas plus d’outils. Je trace ma route, cette ville est trop grande et ressemble trop à Lyon. Pas mon élément. Je vois quand même le grand jet d’eau, dont j’avais oublié l’existence. Sur la route du lac, qui pour le moment m’est clémente car je suis encore fraîche, je reprends l’habitude que j’avais sur St Etienne-Nantes, de prendre en photo les panneaux qui me paraissent significatifs de l’ambiance des lieux traversés et de ceux aui les peuplent (cf album).

    À Rolle, j’appelle Philippe (figure marquante de mon enfance, chez qui je vais), pour annoncer mon arrivée le soir même. Il est 14h, je pense arriver vers 17h. Ce serait envisageable si je n’en étais pas à la moitié d’une journée de 90 bornes. À Morges, effondrement de régime : les bosses paraissent des collines et les collines des cols. 2h ! Lausanne. J’arrive sur les hauteurs, fais un peu de montagnes Russes, demande mon chemin (les copains habitent un peu plus loin, un peu plus haut) : pas le choix, il faut redescendre puis remonter. Je demande de la nourriture dans deux pâtisseries ( j'avais un peu oublié aujourd'hui), la seconde m’offre de quoi nourrir une armée et je l’engloutis. Je suis en pleine heure de pointe mais j’arrive au pied de l’horrible côte, pousse M. Vélo jusqu’au sommet, avec le haut du torse parce que je n’ai plus assez de force dans les bras. Chacun son tour, il me porte bien le reste du temps !

    Je me perds un peu, exactement comme la dernière fois que je suis venue, mais en arrivant je retrouve Philippe et son second fils Amadou (amant de vacances plus ou moins récurrent, pas vu depuis deux ans). Tulipe de libre service plantée, douche prise, film regardé, retrouvailles conclues. Il semblerait que je reste un moment.

    Aujourd'hui: 88km

    Total: 328km


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