• Cracovie, suivie de "chie dur, chie mou, mais chie dans le trou"

    " The thing is, the landscape in many parts of China makes going from A to B quite a challenge"

    Dallas Campbell

    "Ainsi Mariën, dans le précédent numéro de cette revue, proposait de rassembler en désordre, quand les ressources mondiales auront cessé d’être gaspillées dans les entreprises irrationnelles que l’on nous impose aujourd’hui, toutes les statues équestres de toutes les villes dans une seule plaine désertique. Ce qui offrirait aux passants - l’avenir leur appartient - le spectacle d’une charge synthétique de cavalerie, que l’on pourrait même dédier au souvenir des plus grands massacreurs de l’histoire, de Tamerlan à Ridgway. On voit ressurgir ici une des principales exigences de cette génération : la valeur éducative."

    Guy Debord

    "We have learned to be chary of roads ; they mean people ; and commotion ; and lack of peace."

    Herbert Jacobs, We chose the country

    "The Spice must flow ! "

    Frank Herbert, Dune

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    A Cracovie, je passe me renseigner au camping, village barbele entoure d'un parc qui, lui, est public : le type de l'accueil m'annonce que ca coutera 40 euros pour la tente et moi. Les auberges de jeunesse ne sont pas plus cheres, mais entierement reservees. Alors que je veux retourner au camping, mon inconscient m'emmene a l'autre bout de la ville, ou les berges de la Vistule me font des clins d'oeil, la, dans le gris rose du soleil couchant. Par mesure de securite, je demande a deux gars, un ancien au physique de Sahdu, un de mon age, assis aupres de deux grands chevaux qui paissent tranquillement l'herbe publique, s'il existe un coin tranquille pour dormir, la, sur les berges, sans se faire emmerder par les flics. Enfin, ca donne plutot ca : Possible dormir ? Y'a pas police ? Pas probleme police ? Ou ?

    Le jeune me dit : I have a squat. You can come. I go now. Alors je le suis, a velo, lui portant les seaux de nourriture pour chevaux, moi mes bagages, jusqu'a une maison delabree tenant la frontiere entre misere et beton vitre. Je ne m'attendais pas a l'interieur que je trouve : des debris, des vitres manquantes, des murs creuses pour en retirer le cuivre des cables electriques. Un chiotte en bas, dans le jardin, puant.  Merde. Je pensais avoir bien cerne mon hote, sans deceler en lui d'addiction, pourtant les murs creuses ne mentent pas, je suis dans un squat de junkies. Je rencontre ses colocataires, comprends peu a peu : Marek a ouvert ce squat il y a pres de dix ans, revait d'en faire "une maison pour tout le monde". Mais il suffit de quelques ames perdues pour faire fuir "tout le monde", ceux qui reparaient, inventaient, laissaient intact les installations sanitaires et electriques. Neuf ans plus tard, je ne rencontre plus que deux junkie, un cuisinier et un beausardeux, et un type a la jambe gangrenee, dont je comprendrai au matin qu'il attend la mort. Tous gentils, aucun violent, mais aucun avec qui je deciderais de partager une maison, non plus. Marek me fait part de son besoin de quitter cette ville. Un peu deprimee, avec le sentiment d'etre enfermee ici pour la nuit, sans pourvoir dormir, j'allume mon telephone pour voir si j'ai des messages, m'assois dessus dix minutes plus tard, appelant Filip de Kopaniec. Lui me raconte son rassemblement Rainbow en Lettonie, puis comment il est passe a un autre rassemblement, en Slovaquie, pas loin de Cracovie, pas loin non plus de ma destination en Republique Tcheque. Bingo ! Bon pour moi, qui n'aime pas la ville plus que ca, et bon pour Marek. Adieu Cracovie, bonjour les hippies. Cracovie, en fait, ressemble a toutes les autres villes, avec plus de touristes et de meilleurs artistes de rue, avec des coupoles qui montent au ciel, avec des tres riches et des tres pauvres, comme partout en ville, avec des ivrognes, comme partout en Pologne.

     

    Le lendemain, Marek et moi promettons de nous voir au Rainbow, je fais un tour des choses a voir dans la ville, je ne vois que des pierres et deux filles qui chantent des chants ukrainiens aux sonorites bretonnes, et qui me font cesser un instant de regretter d'etre la. Les musiciennes parties, d'ennui et d'impatience, je pars, roule vers le prochain lac qui accueillera mes nuits, passe quelques cols en pleine chaleur et me force a me baigner dans une riviere trop froide, puis improvise un campement pas si moche, dors et repars, surmonte drailles et cols par vent de face, 80 km en plein chaleur et me vois recompensee quand je pose velo et tente cote Slovaque, au bord du lac d'Orawa peuple de caravanes et de pecheurs, sans me cacher, sans culpabilite, aupres d'un feu qui cuisine mes petits pois en conserve. Seul ombre au tableau : Monsieur Velo fait un bruit qui m'inquiete, un bruit de roulement a bille dans l'essieu avant, sans pour autant paraitre se desserrer. Le reparateur de Wolgast m'avait prevenue : j'ai bien fait de venir vite, a-t-il dit, sans ca j'aurais pu ecraser mon roulement. Mais moi je savais que je n'etais pas venue si vite que ca... Je promets a ma monture que je la reparerai en Republique Tcheque.

    Nous arrivons sous la pluie au campement Rainbow, mon velo paralyse par la boue malgre l'aide de Peter pour le monter. La cuisine sert les dernieres premieres portions de soupe et riz, j'en prends une puis une seconde.

    Comment decrire le Rainbow ? A peu pres comme ca, en moins telepathique, plus ritualise, plus chaotique, aussi. Les jours suivants, on se balade nus, s'embrasse sans se connaitre, ou pour se connaitre, fait la vaisselle, la cuisine pour cent et du Yoga, transporte du bois et tanne du cuir, retourne au cours de Yoga et remarque que le prof a un regard d'une peu commune intensite, repousse gentiment, tendrement, les avances de quelques "freres", donne et recoit, respire de la fumee, explore la foret, joue et ecoute de la musique, danse, chante, fait des rondes, s'ennuit, perd ses bouteilles en plastique, trouve d'autres trucs et les amene a leur utilisateur habituel, envoie une lettre via la connexion polonaise, rencontre des gens admirables et d'autres, ou les memes, qui nous trouvent admirable, chie dans un trou (la seule vraie regle stricte du Rainbow : chie dans le trou et lave-toi les mains a la cendre et a l'eau).

    Apres cinq jours de deconnexion-reconnexion, j'arrive, apres une route dure mais courte, chez Simona et Damian, m'installe dans la maisonnette qui sera a ma disposition, et me rejouis d'y trouver les bonnes nourritures physiques et intellectuelles.


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